Chapitre du 27 septembre 2009 Abbaye de Scourmont
Malheur à vous, riches !
Dans l’Évangile, les exigences du Royaume de Dieu sont présentées de deux façons, sous la forme de bénédictions et sous celle de malédictions : d’une part : « Bienheureux les pauvres » et, d’autre part, « Malheureux vous, les riches ».
La deuxième lecture de la Messe d’aujourd’hui est tirée du dernier chapitre de la Lettre de Jacques et est une assez violente diatribe contre les riches qui exploitent les pauvres, en leur rappelant le caractère éphémère de leur richesse qui ne leur servira guère à la fin des temps.
On pourrait facilement mettre ce texte en relation avec la réunion qui vient de se terminer à Pittsburg, aux USA, des chefs d’état des 20 pays les plus économiquement développés de la planète, d’autant plus que nous faisons partie de la tranche matériellement privilégiée de la population mondiale actuelle.Mais il est sans doute préférable pour nous, qui ne faisons pas partie des décideurs – tout en ne pouvant pas renoncer à une responsabilité collective – de laisser l’Évangile attirer notre attention sur d’autres formes de richesses auxquelles nous pouvons être trop attachées, ou dont nous sommes portés à réclamer la possession exclusive.J’espère que ne pas trop empiéter sur le rôle de l’homéliste de ce matin en réfléchissant un peu sur l’Évangile d’aujourd’hui, pour l’appliquer à notre situation monastique.
La péricope d’Évangile que nous lisons à la Messe de ce matin est composée de plusieurs paroles de Jésus plutôt disparates.Je m’arrêterai pour le moment à la réponse de Jésus aux disciples qui veulent empêcher quelqu’un de guérir au nom de Jésus, car il n’est pas l’un des leurs. Notons tout d’abord, en passant, que dans la mentalité de l’époque où la maladie est attribuée aux puissances du mal, « chassez les démons » veut tout simplement dire « guérir ».
Il est tout surprenant que ce soit Jean, le disciple bien-aimé de Jésus – celui qui écrira de si belles lettres sur l’amour fraternel – que ce soit lui qui dise à Jésus, au nom des Douze . « Nous avons vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom ; nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » Et remarquons que Jean ne dit pas : « il n’est pas de ceux qui TE suivent » ;mais bien : « il n’est pas de ceux qui NOUS suivent ». Alors que pour un disciple de Jésus l’essentiel est de « suivre Jésus », et que toute la préoccupation d’un disciple devrait être d’amener les autres à « suivre le Christ », très rapidement la préoccupation devient : « est-il l’un des nôtres ? » ou « est-ce qu’il NOUS suit ? »ou encore : « est-il l’un de nos disciples ? » .On voit qu’a commencé dès ce moment-là la tentation qu’a eue l’Église, tout au long de son histoire, de se préoccuper de se faire des disciples, alors que sa mission est d’amener le Christ et son message au monde.
Au sein de l’Église, la tradition monastique à laquelle nous appartenons, et à travers laquelle nous avons reçu notre appel à suivre le Christ d’une façon particulière, est une grande richesse, un trésor que nous avons reçu et que nous devons transmettre.À certaines périodes cette forme de vie chrétienne attire un très grand nombre de vocations ; à d’autres périodes, beaucoup moins.Apparaissent alors d’autres façons de suivre le Christ, qui ont, comme la nôtre, leur grandeur et leurs limites.Facilement nous sommes portés à dire : « ils ne sont pas des nôtres » -- « ils ne sont pas de ceux qui nous suivent ».Mais la vraie question est : « suivent-ils le Christ ? » et cela nous oblige à reposer sans cesse l’autre question : « suivons-nous le Christ ? ».Peut importe que nous soyons nombreux ou en petit nombre, que nous attirions ou que nous n’attirions pas.La seule chose qui importe est « suivons-nous vraiment le Christ ?Et, évidemment, tous doivent se poser cette question – constamment.
Face aux communautés dites « nouvelles », qui attirent parfois un grand nombre de jeunes, il est légitime d’avoir, comme sur nous-mêmes, un regard charitablement critique, ne fût-ce que pour essayer de les aider à ne pas faire certaines de erreurs que nos propres institutions ont faites dans le passé.Mais nous devons entendre sans cesse la parole de Jésus : « celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».Et remarquons que Jésus, dans sa réponse, a, comme Jean, utilisé la première personne du pluriel.Il est devenu l’un des nôtres.Évidemment nous devons étendre cette attitude de respect à toute personne de bonne volonté, qu’elle se dise ou non chrétienne, qu’elle se dise ou non croyante.
Parmi les formes nouvelles de vie communautaire, un certain nombre se donnent le nom de « communautés monastiques », sans avoir un bon nombre des caractéristiques que l’on a toujours considérées comme essentielles à la forme de vie chrétienne qu’on appelle « monastique ».Cela peut être irritant pour nous, qui appartenons à une branche importante de cette tradition monastique.Et j’avoue que cela m’agace parfois.Mais il s’agit de questions de sémantique somme toute assez ridicules.L’important est ce que chacun vit, et non le nom qu’on lui donne ou qu’il veut bien se donner.
Nous pourrions appliquer à toutes ces situations --- que ce soit à celle de l’Église face au monde,ou à nos communautés monastiques face à d’autres mouvements au sein de l’Église d’aujourd’hui – ce que dit saint Benoît dans le beau chapitre de sa Règle sur le « bon zèle ».Être sans cesse préoccupés par ce qui est bon pour l’autre et non pas par ce qui nous est avantageux à nous-mêmes.Nous réjouir de tout ce que Dieu fait pour les autres et de tout ce que les autres font pour Dieu et ses fils, plutôt que de nous préoccuper de nos propres actes de vertu et notre propre témoignage.D’ailleurs, Les seuls vrais témoins sont ceux qui ne sont pas conscients de l’être, leur « conscience » étant totalement accaparée par Celui dont ils sont témoins, dans la simplicité de leur vie.
Évidemment, nous devons vivre cet enseignement de Benoît en tout premier lieu au sein de notre communauté, nous préoccupant sans cesse du bien de la communauté dans son ensemble et du bien de chacun de nos frères avant de satisfaire nos désirs individuels.
Armand VEILLEUX