19 juillet 2009

Chapitre à la communauté de Scourmont

En mémoire de Dom Guerric Baudet

Dom Guerric nous a quittés assez rapidement. Son coeur, avec une valve à peu près bouchée, avait de plus en plus de difficulté à battre. Il s’est tout simplement éteint lentement.Malgré la difficulté à respirer des derniers jours, il n’a pas connu d’agonie.

Sa longue vie s’est terminée par une très belle vieillesse et aussi une très belle mort.Il a gardé toute sa lucidité, son esprit vif et sa mémoire jusqu’au bout, à près de 96 ans.Il a vu venir la mort avec une très grande sérénité.Il en parlait de plus en plus souvent, mais en toute simplicité.Il était en quelque sorte surpris d’être encore en vie.Il était heureux de vivre, mais était aussi tout à fait prêt à rencontrer le Seigneur.

J’ai eu le privilège d’accompagner ses derniers moments.J’ai récité quelques prières très peu de temps avant son dernier respire, et il a récité amen à la fin.Il a aussi levé les bras lorsque j’ai chanté le Salve à voix basse.Au moment où son respire allait arrêter, il m’a serré la main en me regardant avec deux yeux très paisibles, puis il a émis son dernier respire. Tout sereinement, comme il avait vécu parmi nous ces dernières années.

Il va nous manquer. Il a été si longtemps au coeur de la communauté. Durant près de quarante ans comme supérieur, suivis de vingt ans d’une présence beaucoup plus discrète, mais toujours intense.Pour moi, qui suis venu de l’extérieur, il y a onze ans, il a été le modèle de l’abbé démissionnaire.Il n’est jamais facile à quelqu’un qui a servi sa communauté comme abbé durant longtemps de trouver sa juste place en communauté (comme la chose n’est pas facile non plus pour son successeur).Ce ne fut pas le cas durant ces onze dernières années. Pour moi la présence de Dom Guerric en communauté m’a toujours été précieuse.Ses avis et ses conseils – qu’il ne donnait que si on les lui demandait – m’ont toujours été précieux.Comme tout le monde sait, les choses ne furent pas faciles pour lui sous l’un de ses successeurs.Jamais il ne m’en a parlé.C’était un moine pacifié, sans rancune.

Même si je ne suis venu à Scourmont qu’il y a onze ans, je connaissais Dom Guerric depuis 45 ans.Ma première rencontre fut à Monte Cistello, en 1964, lors de la première réunion de la Commission Centrale, qui allait devenir un organe important de l’Ordre.Il était membre de cette première réunion (qui devait son origine à la réunion de Westmalle au sujet du groupe d’Achel voulant fonder au Danemark) ; et moi j’étais un jeune étudiant.J’étudiais la liturgie, et l’une des questions au programme de cette réunion (et du Chapitre Général suivant) était la place de la liturgie dans la vie monastique.

Je l’ai retrouvé cinq ans plus tard au Chapitre Général de 1969. Il était le secrétaire d’une des commissions, et ses rapports succincts mais pleins d’esprit étaient un régal à entendre.

Dom Guerric aura eu, d’une façon très réservée, un rôle important dans l’histoire de l’Ordre au 20ème siècle.

Il fut étudiant à la Maison Généralice de 1936 à 1939.La liste de ceux qui y furent en même temps que lui est impressionnante.Toute une série de personnes qui ont marqué la vie de l’Ordre.En voici les principaux : Vincent Hermans , Achel ;

Edmond Mikkers, Achel ; Jean-Baptiste Van Damme, Westmalle ; Robert Thomas, Sept Fons ; André Francheboud, Tamié ; Jean de Ruette, Orval ; Etienne Chenevière, La Trappe.Sans compter ses confrères de Scourmont : Maur Standaert, Francis Mahieu, Théodore De Haene et Gall Schuon.C’est sans doute là qu’il acquit son sens de l’Ordre.

Dès le début de son supériorat, en 1950 il devint membre de la Commission de Liturgie (en remplacement de Dom Anselme Le Bail) et il le sera jusqu’à la création d’une nouvelle Commission en 1967.Il sera aussi le premier président de la Commission de Droit, de 1969, jusqu’à 1977.

Il fut envoyé avec Dom Félicien de Rochefort pour une importante Visite Régulière à Latroun en 1961.

Je reviendrai à un autre moment sur son service des maisons-filles de Scourmont et sur son amour de l’Afrique.

En relisant ses interventions aux Chapitres Généraux, spécialement à celui de 1969, où nous avons rédigé la Déclaration sur la Vie Cistercienne, je suis surpris à quel point je me sentais et me sens sur la même longueur d’ondes que lui, malgré notre différence d’âge.Je puis dire que c’est quelqu’un que j’ai non seulement beaucoup estimé mais aussi aimé, et dont je me suis toujours senti accepté et estimé malgré notre différence d’âge et nécessairement des sensibilités différentes.

Armand Veilleux

12 juillet 2009 – Chapitre à Scourmont

Réflexions sur saint Benoît

J’aimerais poursuivre la réflexion que j’ai commencée hier sur la désignation par Paul VI de saint Benoît comme « patron de l’Europe ».C’était, comme je l’ai dit hier, durant la deuxième session du Concile, en 1964,et durant la première année du pontificat de Paul VI. J’étais à ce moment-là étudiant à la Maison Généralice, et ce fut évidemment un événement marquant pour tous les membres de la famille bénédictine, spécialement ceux qui vivaient alors à Rome ou en Italie.

Pour bien comprendre le sens de ce geste de Paul VI, il faut bien se rendre compe que la plupart des organismes politiques et économiques actuels tels que Union Européenne, Conseil de l’Europe, Communauté Européenne, le parlement européen, etc. n’existaient pas encore, ni non plus la question de l’Europe des sept, des douze ou des vingt-cinq nations. Il n’était pas question non plus de Constitution européenne ou de Traité en les pays constituant la Communauté Européenne.

L’Europe à laquelle se référait Paul VI était ce grand ensemble géographique allant de l’Atlantique à l’Oural et de l’Arctique à la Méditerranée et comportant à la fois une histoire commune et une très riche diversité de traditions culturelles et religieuses. Paul VI voulait ainsi souligner le fait que l’esprit qui s’exprime dans la Règle de saint Benoît et qui s’incarna sous des formes très variées à travers les siècles dans la plupart des peuples de cette vaste étendue avait largement contribué à y maintenir à travers les siècles passés un souffle spirituel et un sens communautaire et pouvait dans l’avenir le faire encore d’une façon toujours rénovée.

Ce qui frappe lorsqu’on jette un regard d’ensemble sur cette grande tradition bénédictine, c’est qu’il s’agit d’un esprit qui est, finalement assez indépendant des structures dans lesquelles il s’incarne à chaque période et en chaque contexte culturel déterminé. Benoît a réuni une petite communauté à Subiaco, puis a fondé un petit monastère à Monte Cassino, et une douzaine d’autres petits monastères dans les alentours. Cela semble bien être le substrat historique des Dialogues de saint Grégoire, bien que tout le contenu hagiographique de ces Dialogues n’aie probablement pas de caractère proprement historique.

 Dans les quelques siècles qui suivirent saint Benoît, tous ces monastères -- y compris Monte Cassino -- furent détruits et toutes ces communautés furent dispersées. Mais l’esprit demeura vivant et diverses autres petites communautés naquirent et se maintinrent en Italie jusqu’à la refondation de Monte Cassino quelques siècles plus tard et jusqu’à l’époque du Pape saint Grégoire qui donna à l’esprit bénédictin un grand élan missionnaire. La forme de vie « bénédictine » telle qu’on la connaît, et qui a eu un rôle si important dans l’évangélisation et le développement culturel, social et même politique de l’Europe remonte à saint Grégoire le Grand.

Il y eut de grands mouvements rénovateurs comme celui de Cluny au XIème siècle et celui de Cîteaux au XIIème siècle. Celui de Cluny fut une grand réforme spirituelle qui voulait dégager le monachisme de l’emprise du système féodal dont il était devenu un rouage important. Celle de Cîteaux fut un effort pour retourner à la simplicité primitive de l’époque de Benoît (telle qu’on pouvait la percevoir dans la Règle) et du modèle de l’Église primitive de Jérusalem.

L’Europe fut couverte de grandes abbayes comptant souvent des centaines de moines et qui, pour la plupart, disparurent après quelques siècles d’existence. Et pourtant l’esprit qui s’était manifesté dans la Règle de Benoît continua toujours de se maintenir et de se transmettre, de générations en générations, de siècles en siècles, à travers de petites communautés, la plupart du temps fragiles et précaires, sans grand renom et sans aucune fanfare autour d’elles. Il est important de ne pas oublier que même à travers les années les plus florissantes de l’histoire du monachisme, à côté de quelques grandes abbayes comptant des centaines de moines et dont les noms ont été retenues par l’histoire, la grande majorité des communautés monastiques étaient de toutes petites communautés.

L’Europe doit aux monastères de la famille bénédictine une grande partie de sa tradition culturelle, y compris architecturale. Mais ce n’est là, pourrait-on dire, qu’un sous-produit de sa spiritualité. Là n’est pas l’essentiel ni de son héritage et encore moins de son message. L’esprit de Benoît doit se maintenir, se maintient et se maintiendra, comme un levain d’Évangile au coeur de l’Europe, comme au coeur du reste de l’humanité, essentiellement à travers d’humbles et petites communautés incarnant simplement et humblement l’esprit de l’Évangile tel qu’incarné dans la forme de vie chrétienne décrite par Benoît dans sa Règle de vie pour les moines.

Benoît, qui a été nommé Patron de l’Europe pourrait tout aussi bien être nommé Patron de l’Afrique, de l’Amérique Latine, de l’Asie, etc.Au moment où Paul VI le déclara Patron de l’Europe, une grande vague de fondations bénédictines et cisterciennes avait été lancée depuis une dizaine d’années dans toutes ces parties du monde.En Amérique Latine, colonisée et christianisée depuis quelques siècles, seul le Brésil – sous influence portugaise -- avait connu le monachisme dès le début de l’évangélisation. (L’Espagne avait préféré les Ordres Mendiants et les Jéuites -- pour un temps --pour le reste de l’Amérique Latine). En Afrique, aucun monachisme avant le milieu du 20ème siècle, si l’on exclue le monachisme d’Afrique du Nord au temps d’Augustin et quelques exceptions comme Staouëli, etc.

Aujourd’hui plus de 600 monastères d’obédience bénédictine dans ces continents.Ces communautés ont un rôle à jouer qui n’est pas sans similitude avec le rôle joué au Moyen .Mais il y a des différences de taille.Il n’y a plus une Église puissante et influente.

Dans la société actuelle qui essaie de se redéfinir (après les crises récentes en chaîne), un rôle important reste à jouer par le monachisme – non pas seulement par quelques grandes abbayes influentes (éducation), mais par un ensemble de petites communautés fragiles qui demeurent un levain dans la pâte.

Armand VEILLEUX

31 mai 2009 – Fête de la Pentecôte

Chapitre à la Communauté de Scourmont

Ne pas être à bout de souffle...

Dans le sermon que nous avons lu au troisième nocturne ce matin, saint Léon le Grand affirmait que lorsque l’Esprit Saint remplit les disciples le jour de la Pentecôte, ce ne fut pas un début dans le don, mais une largesse qui s’ajoutait à d’autres. Et il expliquait que c’était le même esprit qui avait inspiré les patriarches, les prophètes et les prêtres de l’Ancienne Alliance.

En réalité l’Esprit est présent dans tout l’Ancien Testament, depuis le récit de la Genèse, qui présente le début de toutes choses comme un immense magma de matière, un immense chaos (un tohu-bohu, en hébreu), sans vie. Alors le souffle de Dieu (ou l’esprit de Dieu, le mot hébreu ruah signifiant à la fois souffle et esprit) plana sur ce chaos en en fit jaillir la vie par vagues successives.Chaque vague impliquait une nouvelle diversification : ténèbre et lumière, ciel et terre, végétaux et animaux, homme et femme.L’être humain apparaît lorsque Dieu insuffle son propre esprit dans l’une de ses créatures. Il serait stupide de briser la beauté -- le « souffle » grandiose -- de cette vision mystique et poétique en essayant d’y voir un fondement pour l’une ou l’autre des hypothèses scientifiques modernes sur l’origine de la vie humaine. Si l’on accepte Dieu comme l’origine de toute vie, l’Esprit qui donne vie à tout être vivant – tout organisme vivant – n’est pas autre que celui que, dans le Nouveau Testament, on appelle le Saint Esprit.

Nous retrouvons la présence de ce Souffle de Dieu tout au long de la Bible juive et dans les écrits du Nouveau Testament.Lorsque des hommes jouèrent un rôle important dans la conduite politique du peuple, comme les patriarches ou encore un Moïse ou un Josué, ou encore dans l’appel du peuple à la conscience ou à la conversion, comme le firent ceux qu’on appela les prophètes, c’est que le Souffle de Dieu descendit sur eux ou même fondit sur eux.

Le messager qui annonce à Marie qu’elle sera mère du Fils de Dieu, lui explique que le Souffle de Dieu planera sur elle, comme il avait plané sur les eaux au matin de la création et en avait fait jaillir la vie.Lorsque Jésus veut se faire disciple de Jean le Baptiste et qu’il descend dans l’eau du Jourdain, le même Esprit de Dieu se manifeste au dessus de lui sous la forme d’une colombe, symbole de la paix. Et lorsque le même Jésus envoie ses disciples en mission, la dernière fois qu’il se manifeste à eux, il souffle sur eux.Enfin, un grand Souffle envahit l’endroit où se trouvent les apôtres, le jour de la Pentecôte, jour où ils commencent enfin à prendre conscience de la mission que Jésus leur a donnée de répandre son Souffle à toutes les nations.

Ce Souffle qui a donné vie à tout ce qui a vie, Jésus de Nazareth l’a appelé son Esprit et l’Esprit de son Père.Et il nous l’a promis. Il est celui que nous appelons Dieu, lorsque nous parlons de Dieu avec un grand « D ». Il est plus présent à nous que nous ne sommes présents à nous-mêmes. Nous entrons en relation personnelle avec Lui lorsque nous pénétrons en notre propre coeur jusqu’à cette racine où notre être jaillit de la source de l’Être. C’est lorsque nous sommes en contact avec cet Esprit de Dieu en nous que nous pratiquons la prière continuelle.Et toute forme d’amour humain est une participation à cet Esprit, comme le dit saint Paul : « L’amour de Dieu a été répandu en nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

Quand nous nous éloignons de ce centre, quand nous nous dispersons dans des activités superficielles, nous perdons le contact avec l’Esprit.Nous pouvons dire qu’alors nous nous essoufflons, au point d’être à bout de souffle. Si notre société occidentale actuelle semble ne plus aller que de crise en crise, c’est sans doute qu’elle est à bout de Souffle, coupée de la source de toute vie, qu’il s’agisse de vie animale ou de vie humaine, de vie du corps de l’esprit ou du coeur.

La fête de la Pentecôte nous rappelle, comme à tous les Chrétiens, que nous devons être dans le monde où nous vivons des porteurs de l’Esprit. Nous devons être des ponts.La mission des croyants n’est pas d’abord de faire la morale à leurs concitoyens, de partir en croisade pour la défense de tel ou tel principe, mais bien de laisser passer à travers eux le Souffle, afin que Celui-ci anime toujours plus l’humanité et l’univers.Pour cela il leur faut tout d’abord être présents au Monde, d’une présence aimante et respectueuse et, d’autre part, se laisser eux-mêmes remplir du Souffle.En tout cas, il ne convient pas à des Chrétiens, et encore moins à des moines d’être à bout de Souffle !

Armand Veilleux

Chapitre du 5 juillet 2009

La puissance dans la faiblesse

Comme deuxième lecture à la Messe, nous avons aujourd’hui une dernière section de la deuxième Lettre de Paul aux Corinthiens.

On le sait, cette lettre est un ensemble composite, et les exégètes se partagent quant à savoir s’il s’agit d’une seule Lettre ou d’un recueil de Lettes.De toutes façons, dans les chapitres 10 à 13, qui constituent la dernière partie, Paul explique comment l’autorité de son ministère s’exprime dans sa propre faiblesse.

C’est le message de la brève lecture d’aujourd’hui.Paul fait d’abord allusion aux révélations ou expériences mystiques tout à fait spéciales dont il a parlé précédemment--la première et la plus importante étant sans doute sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas.Mais il ajoute que, pour l’empêcher de s’enorgueillir ou de se surestimer, il lui a été donné une écharde dans la chair.Il ne dit pas lui-même en quoi consiste cette « écharde » ; et donc toutes les suppositions ont été faites depuis l’époque patristiques jusqu’à nos jours. Depuis plusieurs siècles l’opinion la plus commune est qu’il s’agissait d’une maladie physique (et une bonne quarantaine de maladies ont été suggérées par les exégètes). Nous ne saurons jamais de quoi il s’agissait, et cela est sans importance. Ce qui compte, c’est la conscience que Paul a de sa faiblesse.

Il dit que trois fois il a demandé à Dieu de le délivrer de cette épreuve. Il faut probablement mettre cette triple prière de Paul avec la triple prière de Jésus à Gethsémani (Mc 14,32-42).La coupe n’a pas été écartée de Jésus ; de même l’épreuve n’a pas été écartée de Paul.« Ma grâce te suffit » lui a fait comprendre le Seigneur.Pour Paul, la faiblesse est humaine et la puissance est divine.Lorsqu’il parle de faiblesse, il en parle au pluriel, et la description qu’il en donne (insultes, contraintes, persécutions, situations angoissantes) montre bien que sa vraie faiblesse consiste à reproduire celle du Christ.

Il dit qu’il n’hésite pas à mettre son orgueil dans la faiblesse, « afin que la puissance de Dieu habite en moi ». Le verbe grec (episkènôo) traduit dans le lectionnaire par « habiter » (et qui ne revient nulle part ailleurs dans le NT) pourrait tout aussi bien se traduire par « repose sur moi ». L’étymologie du mot révèle en effet la présence glorieuse de la shekina reposant sur la tente en Israël pour signifier présence invisible mais sensible de Dieu.

C’est dans cette faiblesse, qui est une participation à celle du Christ, que Paul se glorifie.C’est en elle, dit-il, qu’il est fort.

Nous faisons tous l’expérience de faiblesses de divers ordres. Nos malades en font présentement l’expérience dans leur corps. Ces faiblesses de tous ordres – celles du corps engendrées par la maladie, mais pas seulement celles-là nous fort partager la croix du Christ ; et c’est en elle que nous trouvons notre force.

Nous avions comme lecture biblique aux Vigiles de ce matin l’histoire de la victoire de David contre Goliath. Devant Goliath, armé jusqu’aux dents et protégé par un poids impressionnant de bronze, David essaie d’abord de revêtir une armure semblable ; mais elle l’écrase.Il ne peut marcher.Il affronte donc l’ennemi avec sa faiblesse, utilisant ses faibles moyens : sa fronde et une petite pierre ; et il est vainqueur.

La vie humaine est faite de cycles. Il y a une période de croissance au cours de laquelle tout semble possible ; une période d’âge mûr où l’on est conscient de sa force, mais où l’on devient plus réaliste face à ses possibilités ; puis une période de vieillesse, où l’on fait l’expérience nouvelle de sa fragilité.Cela vaut non seulement des personnes individuelles, mais aussi des communautés, monastiques et autres. Cela vaut aussi de l’Église.Il y a des périodes où les institutions paraissent toutes puissantes et d’autres où elles font l’expérience de leur fragilité.

Ce qui est important, chaque fois que nous faisons l’expérience de notre faiblesse, sous une forme ou sous une autre, est de faire l’expérience de la présence au dessus de nous (tout comme en nous), de la shekina, de la présence de Dieu, en qui nous pouvons tout.

Armand Veilleux

Chapitre pour le Dimanche des Rameaux 2009

L’Onction à Béthanie

La session de christologie que nous avons eue récemment avec Mgr Doré nous a rappelé comment les auteurs de nos quatre Évangiles ne sont pas des chroniqueurs essayant de nous décrire exactement ce qui s’est passé dans la vie de Jésus. Ils veulent plutôt, à partir de faits réels de sa vie nous transmettre divers aspects du message spirituel qu’ils y ont perçu.Et, en général, ils emploient largement un langage symbolique.Et le caractère symbolique de ce langage est clair particulièrement là où certains détails semblent ou bien invraisemblables ou bien ne pas correspondre aux données d’un autre Évangéliste.

Luc et Jean, chacun à sa façon, sont des experts de ce langage symbolique.Mais on le retrouve aussi chez Marc, même si celui-ci semble nous donner, en général un récit plus « factuel ».Nous en avons un bel exemple dans le récit de la Passion que nous écouterons à l’Eucharistie de ce matin.Dans cet entretien, je me limiterai à commenter le récit de l’onction à Béthanie, qui ouvre le long récit de la Passion, réservant le reste pour l’homélie de l’Eucharistie.

Tout d’abord, l’ensemble du récit (14,1) commence par une mention de la Pâque : « La fête de la Pâque et des pains sans levain allait avoir lieu dans deux jours. Les chefs des prêtres et les scribes cherchaient le moyen d’arrêter Jésus par ruse, pour le faire mourir. » C’est la première fois que le mot « Pâque » est mentionné dans l’Évangile de Marc, et cette mention domine tout le récit jusqu’à la mort et la sépulture de Jésus.

Ce long récit de la Pâque de Jésus commence, sans plus d’introduction, par la phrase : « Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux ».Béthanie n’est pas mentionnée ici comme le lieu où Jésus aimait se reposer près de ses amis Marthe, Marie et Lazare, mais comme une bourgade à l’entrée de Jérusalem. Jésus se trouve déjà dans le territoire de ses ennemis, de ceux qui cherchent à le faire mourir. L’expression « dans la maison de Simon le lépreux » ne peut avoir qu’un sens figuré.Il est impensable d’abord qu’un lépreux ait pu avoir une maison et recevoir des visiteurs, et tout aussi impensable de manger avec un lépreux, qui était exclu de la société en Israël. S’il s’agissait d’un lépreux physique on conçoit mal comment Jésus aurait mangé chez lui sans le guérir.

Le texte continue : « Pendant qu’il était à table... » La traduction littérale du texte grec serait : « Pendant qu’il était étendu à table... » Il ne s’agit donc pas d’un repas ordinaire mais d’un de ces banquets où les convives étaient allongés sur des divans, comme le banquet de Jésus avec ses disciples chez Lévi, le publicain (2,15). Jésus est donc chez les siens, et le lépreux représente l’un de ses disciples. Par ailleurs la maison de Simon nous rappelle celle de Simon et André où Jésus commença son ministère en Galilée (1,29). Ce Simon semble donc être la figure de Simon Pierre, qui représente tous les disciples, qui sont marginalisés, rejetés comme des lépreux, par les Chefs du Peuple à Jérusalem (à l’entrée de laquelle se trouve Béthanie).La condition de marginal de Jésus, qui va mourir, passe donc à ses disciples, et en particulier à Simon Pierre.

Arrive alors une femme.Elle arrive ; elle ne fait donc pas partie de la maison de Simon. On pourrait voir ici plusieurs allusions à l’épouse du Cantique des Cantiques, où l’on voit le roi, ou l’époux étendu sur son divan et l’épouse s’approchant avec son nard, son parfum (Voir Cant. 1,12, etc.).C’est un parfum de grand prix, signe de la qualité de l’amour. Elle brise le vase, répandant donc tout le parfum – signe de l’amour allant jusqu’au don total. Elle en oint la tête de Jésus, où on peut voir une allusion à l’onction de David par Samuel Sm 10,1) et donc une reconnaissance de la royauté de Jésus, qui sera proclamée sur la croix.Les vrais disciples de Jésus, la communauté idéale de Jésus, représentée par cette femme, acceptent le voir leur roi en Jésus crucifié. Un amour qui répond à l’amour de Jésus se donnant totalement sur la croix.

Certain critiquent ce gaspillage du parfum.Ce sont ceux qui voient dans la mort de Jésus un gaspillage, un échec.De plus en proposant de vendre ce parfum pour le donner aux pauvres, ils mettent une distance entre eux et les pauvres.

Jésus leur dit de ne pas la molester.Elle a fait une œuvre excellente.Et il leur indique l’attitude à avoir envers les pauvres.« Vous aurez toujours des pauvres avec vous », leur dit-il. Il ne suffit donc pas de vendre de temps à autre de son superflu pour le donner aux pauvres, mais il faut être « avec » eux, et leur « faire du bien ».Il y a là tout un programme pour la communauté primitive, qu’on retrouvera dans les récits des Actes des Apôtres (ils mettaient leurs biens en commun... ».

Il annonce ensuite sa mort : « Vous ne m’aurez pas toujours avec vous... » L’amour de cette femme, représentant la communauté des disciples, assure à Jésus son incorruptibilité (à travers l’embaumement avec ce parfum.Sa présence se perpétuera donc dans la communauté.

Et ce beau récit se termine par une phrase très solennelle : « Amen, je vous le dis, partout où la Bonne Nouvelle sera proclamée dans le monde enter, ce qu’elle vient de faire sera raconté en mémoire d’elle. »L’expression utilisée est exactement la même que lorsque Jésus, à la dernière Cène, dit à ses disciples de faire cela « En mémoire de moi ».

Le message est donc que le don de soi à travers la communion avec les pauvres est, tout comme la célébration eucharistique, une façon de garder vivante la mémoire de Jésus. À travers l’une et l’autre Jésus demeure présent au milieu de son peuple.

On pourra trouver une grande richesse d’enseignement dans tout le récit de la Passion si, au lieu de le lire comme une chronique des événements, on s’efforce de découvrir le langage symbolique utilisé par Marc.

Armand VEILLEUX

Chapitre – Fête du Corpus 2009

Scourmont, 13 juin 2009

L’Eucharistie dans une communauté monastique

L’Eucharistie est au coeur de la vie chrétienne et donc aussi au coeur de la vie monastique. Dans une communauté monastique comme la nôtre, nous avons la grâce de pouvoir célébrer communautairement l’Eucharistie tous les jours.Ce n’est évidemment pas le cas pour la plupart des Chrétiens, y compris des Chrétiens fervents.Et de plus en plus ce n’est pas le cas pour beaucoup de communautés religieuses non cléricales, y compris des communautés de moniales de notre Ordre.Cela ne veut pas dire que l’Eucharistie est moins au centre de leur vie pour autant.Cela peut nous amener à réfléchir sur ce que signifie placer l’Eucharistie au coeur de notre vie personnelle et communautaire.

Pour ceux qui ont la grâce de pouvoir célébrer l’Eucharistie tous les jours, comme c’est notre cas, -- et je répète que je considère que c’est une grâce – il y a le danger de considérer que l’Eucharistie est une pratique religieuse entre beaucoup d’autres, dont elle est évidemment la plus importante. Or, si l’on veut que l’Eucharistie soit vraiment au coeur de notre vie, il faut qu’elle soit autre chose qu’un simple exercice religieux, comme le sont, par exemple les Heures de l’Office Divin.

On sait que saint Benoît consacre de nombreux chapitres de sa Règle à décrire en détail la célébration de l’Office Divin, mais ne parle que très peu de l’Eucharistie.La situation est la même dans l’ensemble des règles monastiques et autres écrits monastiques des premiers siècles.Cela ne veut pas dire que l’Eucharistie n’était pas importante pour eux.Cela veut simplement dire que c’était une dimension de la vie chrétienne qu’ils avaient en commun avec tous les autres fidèles, qu’on célébrait sous l’autorité de l’évêque local et au sujet de laquelle il n’y avait pas lieu d’établir des règles proprement monastiques.

Il y a quelques années, les Bernardines d’Esquermes m’ont demandé de leur commenter les sermons de saint Bernard pour la dédicace de l’église, en préparation de celle de leur propre église.Ma surprise fut de constater que saint Bernard, dans ces sermons, mentionne constamment tous les actes religieux que l’on fait dans l’Église, à travers lesquels la communauté se crée, s’exprime et honore Dieu, mais ne mentionne qu’une seule fois l’Eucharistie.Ce qui, encore une fois, ne veut pas dire qu’elle n’était pas importante pour lui.

Saint Augustin, à une époque où coexistaient dans l’Église plusieurs traditions différentes concernant la fréquence de l’Eucharistie – ou bien une fois, ou deux fois ou trois fois par semaine, ou bien tous les jours (une pratique qui commençait alors à se faire jour), se fait demander quelle est la meilleure pratique.Sa réponse est que la chose qui convient le mieux à un Chrétien est de se conformer à la pratique de l’Église où ilse trouve.L’idée fondamentale est claire : Il n’y a qu’un seul sacrifice, celui du Christ.Chaque fois que nous célébrons, nous ne répétons pas cet unique sacrifice ; et surtout nous ne le multiplions pas, mais nous nous y unissons. L’important est que cette union au Christ, et sa place centrale dans nos vies, soient aussi permanentes que possibles.Que cela soit rendu possible et favorisé, selon les circonstances, par une célébration quotidienne ou par une célébration hebdomadaire, demeure relatif – par rapport à cet essentiel.

Tous les textes du Nouveau Testament concernant l’Eucharistie, que ce soit dans les Synoptiques, ou chez saint Jean ou chez saint Paul, sont unanimes à montrer qu’à la dernière Cène Jésus n’a pas simplement institué un « rite », mais qu’il a invité ses disciples à vivre « en mémoire de Lui » et à exprimer cette mémoire et cette communion avec lui à travers la communion fraternelle et le service mutuel signifiés en particulier par le lavement des pieds.

Tout cela peut nous aider à considérer avec sérénité un certain nombre de questions qui se posent aujourd’hui de façon nouvelle, en particulier dans les monastères de moniales.Dans nos monastères d’hommes c’est la communauté de vie d’un groupe d’hommes qui s’exprime dans la célébration eucharistique présidée par l’un d’entre eux et concélébrée par un certain nombre d’entre eux.Chez les moniales, le président de l’Eucharistie est un homme.Si cet homme n’a pas un sens communautaire aigu, et surtout s’il n’est pas moine, il risque de considérer que c’est lui qui « fait » l’Eucharistie pour les Soeurs, plutôt que de considérer qu’il s’agit d’une célébration communautaire de la communauté de moniales, qu’il est appelé à présider. Certaines communautés de moniales, de nos jours, n’ont pas un moine comme aumônier.Parfois ils ont un prêtre séculier qui comprend bien leur vie monastique ; mais ce n’est toujours le cas.Certaines communautés ont de plus en plus de difficultés à trouver un prêtre chaque jour.Et il arrive, en certains cas, qu’elles préfèrent ne pas avoir l’Eucharistie à certains jours plutôt que de faire venir un prêtre qu’elles ne connaissent pas et qui ne les connaît pas et qui ne viendrait que « faire le rite » pour elles.Cela ne veut pas dire que l’Eucharistie est alors moins au coeur de leur vie.

La plupart d’entre nous sommes entrés au monastère à l’époque où tous les prêtres de la communauté célébraient leur messe privée avant d’assister à une messe conventuelle où seul le célébrant communiait et à laquelle les frères convers n’assistaient même pas.C’était le résultat de plusieurs siècles de non compréhension de la liturgie.Avec Vatican II, la concélébration nous a permis de dépasser cette anomalie et d’avoir chaque jour une célébration vraiment communautaire à laquelle tous participent et à laquelle tous communient.La plupart de nos communautés, comme la nôtre, sont satisfaites de cette situation ;mais en plus d’un endroit on trouve anormal la situation où le nombre de concélébrants qui, en réalité, co-président l’Eucharistie soit plus grand que le nombre des non prêtres.Aussi un bon nombre de prêtres, en diverses communautés, préfèrent participer à l’Eucharistie sans « exercer leur sacerdoce ministériel » en « présidant ».Cela ne veut pas dire que l’Eucharistie est moins au coeur de leur vie.

Le manque de prêtres dans les diocèses et le fait que de nombreuses communautés paroissiales sont laissées sans célébration eucharistique dominicale a fait resurgir une vielle question théologique : celle de la présidence de l’Eucharistie.Dans un article très documenté et très équilibré, paru récemment dans la Revue théologique de Louvain (2008, pp 492-519), le père Paul Tihon, jésuite belge, professeur à Lumen Vitae, a fait le point sur la question.Il cite plusieurs théologiens et biblistes des plus sérieux et de plus rigoureux qui n’ont cessé de traiter de cette question depuis cinquante ans : Congar, Delorme, Grelot, Kasper, Duquoc, sans oublier, bien sûr, Schillebeeckx et .Et il y a eu, l’an dernier, un document des Dominicains hollandais,(Kerk en ), qui a fait du bruit.

La question que posent tous ces théologiens et biblistes est : « L’Eucharistie doit-elle toujours nécessairement être présidée par un prêtre ordonné ? »Chose certaine, le Nouveau Testament ne donne aucune réponse précise à ce sujet et la pratique des premières générations chrétiennes permet, au moins, de poser la question.

Il n’y a vraiment pas lieu d’entrer dans cette problématique pour le moment. (Je vous conseille de lire l’article du Père Tihon).

Ce que je voudrais qu’on retienne de tout cela c’est simplement que l’Eucharistie est au coeur de notre vie lorsque (quel que soit son mode de célébration et notre façon d’y participer, ou même la fréquence de notre participation) elle nous maintient dans une mémoire continuelle du Christ, et une mémoire qui s’exprime dans une véritable communion avec tous nos frères dans tous les aspects de notre vie quotidienne.

Armand VEILLEUX

Chapitre du 19 avril 2009 – 2ème dimanche de Pâques, 2009

L’exemple de communion de la communauté apostolique

Le lectionnaire liturgique de la messe est particulièrement riche durant le Temps pascal.Chaque jour l’Évangile est tiré de l’Évangile selon saint Jean et la première lecture est tirée des Actes des Apôtres.Quant à la deuxième lecture de la messe des dimanches, elle est tirée, cette année, de la 1ère Lettre de Jean.Un ensemble de lectures qui nous parlent abondamment de l’amour : l’amour que Dieu a pour nous, notre amour pour Lui et l’amour du prochain.

Arrêtons-nous ce matin à la première lecture de la Messe d’aujourd’hui, tirée du chapitre 4 des Actes des Apôtres, qui est le dernier de ce qu’on appelle les trois « sommaires » des Actes, qui décrivent la vie de la communauté primitive de Jérusalem.Ces textes ont inspiré toutes les formes de vie commune dans l’Église depuis la plus haute antiquité, en particulier dans notre tradition cénobitique depuis Pachôme jusqu’à Benoît et, bien sûr, nos Pères cisterciens.

Le chapitre 2 des Actes mentionne d’abord (2,42) les éléments fondamentaux de la vie de la communauté primitive de Jérusalem : l’enseignement des Apôtres, les réunions communes, la fraction du pain et les prières ; puis il ajoute, quelques versets plus loin (2,44-47), la mention du partage des biens.C’est de ce partage que parle de nouveau et de façon plu élaborée le chapitre 4 (4,32-37) dans le passage que nous avons à la messe de ce matin.

Il est communément admis par les exégètes que ces descriptions ont été faites par un juif helléniste de la première génération chrétienne et reprises plus tard par Luc.On y voit aussi, en général, un modèle – une utopie au sens profond du mot – que les premiers s’efforçaient de vivre, plutôt qu’une description exacte des faits.Cet idéal est un beau programme de vie.

À cet idéal de vie communautaire autour de la Parole, de la prière et du partage des biens, toute la tradition spirituelle des premiers siècles, jusqu’au 12ème siècle, a donné le beau nom de vie apostolique, c’est-à-dire le genre de vie caractérisant la communauté ecclésiale de l’époque apostolique.Cette expression vita apostolica prendra un sens un peu différent par la suite, avec François d’Assise et son école.On désignera alors par cette expression la vie des Apôtres avec Jésus durant son existence terrestre. L’accent est alors mis sur la pauvreté et la prédication plutôt que sur la vie commune.Et on sait comment, de nos jours, l’expression « vie apostolique » désigne en général la forme de ministère actif en tant que distincte de la vie dite contemplative.

Arrêtons-nous à la première phrase de la lecture d’aujourd’hui : La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi avait un seul coeur et une seule âme. On pourrait trouver là une très belle définition de l’Église.L’Église, avant d’être une grande organisation, avec ses structures et sa hiérarchie, est la communauté de tous ceux qui ont mis leur foi dans le Christ. De ces temps-ci, chaque fois que j’entends des personnes m’exprimer leur questionnement ou leur déception face à « l’Église », je leur dis toujours : « L’Église c’est nous tous ! ». Et la caractéristique de ceux qui ont mis leur foi dans le Christ est de n’avoir qu’un seul coeur et une seule âme. On ne saurait trouver de plus belle expression de ce qui fait l’unité de l’Église.Cela doit aussi nous rappeler que l’Unité des Chrétiens se fera non par des négociations et des compromis doctrinaux mais en développant entre tous les Chrétiens une compréhension et un amour mutuels qui fassent qu’ils ne soient plus qu’un coeur et une âme.

Les Chrétiens concernés par cette description du Livre des Actes étaient tout au plus quelques milliers.De plus, la plupart devaient être des déracinés.D’une part il y avait plusieurs Galiléens qui avaient suivi Jésus en Judée, et qui avaient donc abandonné leurs occupations et leurs possessions ; et il y avait aussi beaucoup de Juifs venus de la diaspora pour la Pâque et qui n’étaient pas retournés chez eux.C’était donc une communauté pauvre.On comprend donc que leur communion se soit exprimée dans la mise en commun de toutes leurs maigres possessions et dans le partage de ces possessions entre tous, selon les besoins de chacun. Ce dépouillement donnait à tous la liberté et la force pour témoigner de la résurrection du Christ et de la puissance de la grâce sur eux.

Pour saint Benoît, comme pour saint Pachôme, le fondateur de la vie cénobitique, c’est cette union des coeurs, exprimée dans une vie en commun et dans un partage matériel fait de services mutuels, que consiste la vie monastique. C’est de la même communion que parle Benoît, lorsque, à la fin de sa Règle, il parle d’obéissance mutuelle. Il est intéressant de voir comment cette notion de « mutualité » revient souvent.D’ailleurs, dans tout le Nouveau Testament, la solidarité et le partage dans la communauté sont exprimés par l’usage du pronom réciproque « les uns les autres » (alter alterius en latin ou allêlôn en grec).Pour ne citer que quelques exemples : Saint Paul écrit aux Thessaloniciens (5,13-15) : Réconfortez-vous les uns les autres et édifiez-vous les uns les autres... Faites-vous du bien les uns aux autres.Aux Romains, il écrit (15, 7,14) Avertissez-vous les uns les autres ; et aux Èphésiens (4,32 Montrez-vous bons et compatissants les uns pour les autres ou encore, aux Colossiens (3,13) Pardonnez-vous les uns les autres. On peut voir en ces recommandations autant de façons de traduire la recommandation de Jésus à la dernière Cène  ( 13,34 ; 15, 12) : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

L’ensemble des récits des Actes des Apôtres nous montrent bien que la vie des premières communautés ne fut pas exempte de tensions, parfois très fortes, et même entre les personnes les plus importantes de la communauté.Ce qui est merveilleux est que ces tensions ne les ont pas empêché de vivre leur communion de telle sorte que leur message soit parvenu jusqu’à nous.

À nous de continuer. Nous devons nous aussi maintenir entre nous à la fois un grand respect de la diversité des sensibilités ecclésialeset une pleine communion dans l’amour mutuel.

Armand VEILLEUX