Chapitre du 11 octobre 2009
Abbaye de Scourmont
La sainteté
Aujourd’hui, à Rome, aura lieu la canonisation de Frère Rafael de l’abbaye de San Isidro, en même temps que celle du Père Damien de Veuster, l’apôtre des lépreux et de celle de Jeanne Jugan, la fondatrice des Petites Soeurs des Pauvres. Les deux premiers nous sont particulièrement proches, le premier parce qu’il s’agit de quelqu’un de notre Ordre, et le deuxième parce qu’il est belge.
Quel est le sens d’une canonisation ?Il ne s’agit pas simplement de déclarer que quelqu’un est au ciel.Nous avons tous connu un grand nombre de personnes qui sont maintenant décédées et au sujet desquelles nous n’avons aucun doute qu’elles sont au ciel.C’est d’ailleurs cette multitude de saints, presque tous depuis longtemps oubliés sur terre, que nous fêterons en la fête de la Toussaint, le 1er novembre.Lorsque l’Église déclare quelqu’un saint, c’est qu’elle veut le/la proposer comme exemple ou modèle, d’abord à tous les Chrétiens de nos jours, mais aussi à toutes les personnes de bonne volonté.
Le message donné au monde par le Père Damien et soeur Jeanne Jugan est assez clair, et toujours d’une grande actualité.Dans notre monde moderne où il y a, d’une part tant de richesse et, d’autre part, tant de misère et de pauvreté, la parole de Jésus disant que nous aurions toujours des pauvres parmi nous est toujours d’actualité.Le Père Damien a reçu l’appel non seulement à servir les exclus de la société de son temps, les lépreux, mais à vivre avec eux pour leur redonner leur dignité.Il a su rebâtir une communauté humaine et chrétienne avec ceux qui étaient tout simplement rejetés de la société. Il a imité jusqu’à l’héroïsme le Christ, qui s’est fait l’un de nous, acceptant d’aller jusqu’à la mort.Aujourd’hui, des philanthropes consacrent des milliards de dollars pour aider à trouver des cures à des maladies comme le sida.C’est évidemment très bien ;mais l’exemple du Père Damien est d’un tout autre ordre. Bien peu d’entre nous sommes appelés à vivre avec les pauvres et les malades de la façon que l’a fait le Père Damien ;mais son exemple nous rappelle que face à n’importe quelle souffrance humaine – qu’elle soit d’ordre physique, psychologique ou morale, l’attitude chrétienne n’est pas celle d’une condescendance hautaine, mais celle d’une humble et active proximité.
De même, le message de Jeanne Jugan est clair.Dans une grande humilité. mais avec une grande efficacité elle s’est consacrée aux personnes âgées dans le besoin. Il est sans doute opportun que l’Église nous la donne comme exemple, à une époque où l’on vit de plus en plus longtemps et où le pourcentage des pauvres ne diminue pas. (On dit que la moitié des enfants qui naissent aujourd’hui atteindront l’âge de cent ans).
Le message du frère Rafael est moins évident.Issu d’une famille aristocratique, avec une excellente formation intellectuelle, des talents de poète et d’artiste et une grande sensibilité, il est attiré vers la rude vie de la Trappe de San Isidro. De santé fragile, il ne pourra même pas faire son noviciat. Ayant dû quitter l’abbaye pour se soigner, il reviendra un peu plus tard, et mourra jeune après quelques années passées comme oblat.Il n’a pas écrit de livres, mais a laissé beaucoup de notes spirituelles et de lettres, à sa famille en particulier.En apparence rien de bien spécial dans sa vie. On pourrait trouver dans tous nos monastères des cas semblables.Et pourtant, sa vie, spécialement à travers ses écrits, a touché un nombre toujours plus grand de personnes. Sa spiritualité simple et solide a inspiré de nombreuses personnes, surtout en Espagne, évidemment, mais aussi un peu partout en Amérique Latine.Un peu comme pour le Père Cassant, de l’abbaye du Désert, c’est l’intérêt qu’il a suscité auprès des laïcs de toutes les classes sociales, qui a maintenu vivante une dévotion populaire qui a conduit à la béatification d’abord, puis maintenant à la canonisation.
Un groupe de sept évêques espagnols a publié récemment, à l’occasion de cette canonisation une lettre pastorale adressée aux jeunes, dans laquelle ils font ressortir le message de Rafael. Voici quelques passages de cette lettre :
“l’Église nous propose frère Rafael comme modèle à imiter, non pas tant pour copier sa vie de manière servile, mais afin qu’elle nous illumine dans le discernement des chemins que Dieu a tracé pour nous”, ajoutent-ils. Dès l’instant où tout le monde suit de manière plus ou moins consciente des modèles, ceux-ci “peuvent être mineurs ou élevés et stimulants”. “Un idéal mineur produit des vies mineures et un idéal saint produit des hommes et des femmes saintes. Le modèle de Rafael ne fut pas autre que celui de Jésus-Christ”, constatent ensuite les signataires de la Lettre. Ce fut à cause de Lui que le bienheureux “renonça à tout : à ses goûts raffinés, à ses affections, à ses vanités, à ses projets”, en réussissant à être capable d’“affronter des adieux douloureux pour suivre sa vocation, embrasser le songe impossible d’être moine, d’accepter une maladie sans issue”.
On pourrait aussi relire cette vocation de Rafael à la lumière de l’Évangile d’aujourd’hui qui nous raconte l’histoire du jeune homme riche, qui, après avoir reçu l’appel de Jésus, s’en retourne tout triste, parce qu’il ne peut se décider à faire le dépouillement total que lui demande Jésus.
Il me semble que l’un des messages que nous donne Rafael est que l’important dans la vie est de maintenir le cap sur le but que nous nous sommes donné, qui est de parvenir à la perfection de l’amour, peu importent nos échecs, les obstacles de la maladie ou autres, et quelles que soient nos hésitations et nos craintes.
Alors qu’on est toujours attirés par l’exemple de héros, Rafael est une sorte d’anti-héro, quelqu’un qui ne réussit pas, qui n’arrive pas à son but, ici-bas, mais qui reste jusqu’au bout fixé sur le but à atteindre, puisant toute sa force dans son grand amour du Christ.
Armand Veilleux