Chapitre pour le Dimanche des Rameaux

Scourmont, 28 mars 2010

Écoute et Parole

Le « chapitre » de ce matin sera bref, car les textes liturgiques d’aujourd’hui nous offrent une nourriture abondante, et aussi parce que le passage à l’heure avancée nous enlève une heure, ce matin.

Je voudrais simplement commenter brièvement la première lecture de la Messe, tirée du prophète Isaïe, et qui pourrait servir de commentaire ou de résumé de tout ce que disent les premiers chapitres de la Règle de saint Benoît.

Dieu mon Seigneur m'a donné le langage d'un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n'en peut plus. La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j'écoute comme celui qui se laisse instruire.
Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Je n'ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats.
Le Seigneur Dieu vient à mon secours ;c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j'ai rendu mon visage dur comme pierre :je sais que je ne serai pas confondu.
Parole du Serviteur de Dieu : Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. (Is. 50,4-7)

Il est question, dans ce texte, de parole, d’écoute et d’attitude de disciple. Ce texte qui, en Isaïe, décrit l’attitude du Serviteur de Jahvé, est appliqué au Christ dans le Nouveau Testament et pourrait tout aussi bien servir pour décrire l’idéal de la vie du moine.

Le prochain chapitre de la Règle de saint Benoît que nous j’aurai à commenter sera le chapitre sur le silence.Or, le silence n’a de sens que s’il est plein ; et il est plein s’il y a eu d’abord une attitude d’écoute de la Parole.Cette attitude est celle du disciple qui est disposé à se laisser instruire.

Si le bavardage est exclu par Benoît dans sa Règle, la parole y tient une place importante.Il faudrait que chacun de nous puisse dire, comme le Serviteur de Jahvé : « Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme qi se laisse instruire. ».Par qui ou par quoi doit-on se laisser instruire ?Tout d’abord par la Parole de Dieu.

Dans le petit livre Journal d’un Pèlerin russe, où l’on trouve une description et une mise en pratique de la « Prière de Jésus », le « pèlerin » écrit :  « un matin la prière me réveilla ».Je me demande si l’auteur n’a pas pris son inspiration dans notre texte d’Isaïe, où le Serviteur de Yahvé dit : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille... ».

Voyons-y une invitation à la prière continuelle, qui n’est rien d’autre qu’une écoute continuelle de la Parole, le Verbe de Dieu qui habite en nos coeurs.L’écoute de cette parole nous plongera dans un silence plus profond et si les paroles que nous aurons nous-mêmes à prononcer proviennent de ce silence, elles produiront certainement des fruits de paix et de communion.

Armand Veilleux

1 janvier 2010 – Voeux de l’An Nouveau

Communauté de Scourmont

Bonne Année !

Du point de vue liturgique, le 1er janvier est la Fête de Marie, Mère de Dieu. C’est ce que nous célébrons tout au long des Offices Liturgiques de la journée et que nous célébrerons particulièrement durant l’Eucharistie.

C’est aussi le début de l’année civile et l’occasion de se souhaiter une « Bonne Année ».Je ne crois pas qu’il faille opposer ces deux calendriers.Les deux sont importants pour nous.Même si nous avons quitté – ou pensons avoir quitté – le « monde » en entrant au monastère, le calendrier civil est celui par lequel sont déterminées nos dates de naissance, de baptême, de profession, d’ordination et tous les événements importants de notre vie personnelle, communautaire et collective.

Ce calendrier civil, basé sur la rotation de la terre sur autour du soleil, est ce qui nous relie à l’ensemble des rythmes de la nature physique, qui constituent une immense symphonie dont les dimensions dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Avant Galilée on pensait que l’univers se limitait à la terre et à quelques autres astres et étoiles visibles à l’œil de l’observateur. Puis on a découvert que tous ces astres connues tournent autour du soleil, puis que notre soleil n’est qu’une étoile parmi des millions d’autres formant une galaxie, puis qu’il y a des millions de galaxies qui constituent l’univers.Et les scientifiques disent maintenant que notre univers dont les limites atteignent des millions d’années lumière n’est qu’un univers entre des millions d’autres univers. C’est à toute cette immense danse cosmique que nous relie notre lien avec le calendrier civil !

C’est la tradition de se souhaiter bonne année en ce premier jour de l’année civile.Est-ce plus qu’une formule ? – Pour quiconque a la foi, il est certain que cette année, comme toutes les autres, sera une année de grâces. Mais il nous est tout à fait impossible de prévoir quelles grâces nous viendront de Dieu en cette année.Nous espérons pour chacun de nous une bonne santé.Mais nous savons aussi que nous aurons tous à un moment ou l’autre de petits ou de gros problèmes de santé. L’important sera pour chacun de nous de bien les vivre.

Du point de vue matériel, l’année qui se termine aura été une année encore difficile.Les pays industrialisés et la grande industrie (ainsi que le monde bancaire) sont graduellement sortis de la crise économique de l’année précédente. Mais les pays en voie de développement et les pauvres dans tous les pays continuent de souffrir de cette crise.Nous ne pouvons pas dire que nous avons été très touchés dans notre vie de tous les jours.À ce point de vue, nous appartenons au monde des privilégiés.C’est donc pour nous une obligation de continuer à faire profiter largement les pauvres qui nous entourent et ceux des pays pauvres des ressources dont nous disposons pour le moment.

Le 1er janvier est aussi est aussi considéré depuis longtemps comme la « Journée Mondiale pour la Paix ». Malheureusement l’année qui se termine a été marquée par beaucoup de bruits de guerre, beaucoup de violences en plusieurs parties du monde et beaucoup d’insécurité. Nos communautés africaines et particulièrement celle de Murhesa l’ont vécu avec intensité ces derniers temps. L’année nouvelle ne commence pas avec de meilleures augures.Que pouvons-nous faire ?Il est clair qu’aucun d’entre nous n’a d’influence sur les rouages de la politique internationale.Mais nous avons tous l’obligation d’introduire de la paix dans le monde, en veillant à maintenir cette paix en chacun de nos coeurs, dans nos relations personnes avec Dieu, dans nos relations les uns avec les autres et dans nos relations avec les personnes de notre milieu et avec notre environnement.

Comme par les années précédentes, je voudrais prendre, pour vous exprimer mes voeux, la très belle bénédiction qu’on trouve à la première lecture de la Messe d’aujourd’hui (et que nous avons eu comme lecture à Laudes), et qui est tirée du Livre des Nombres.Cette lecture n’a évidemment rien à voir avec la Fête de Marie, Mère de Dieu (pour laquelle sont choisies les deux autres lectures).Elle a été choisie précisément comme une expression des voeux en ce premier jour de l’année civile.

En voici le texte :

Que le Seigneur te bénisse et te garde!

Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu'il se penche vers toi!

Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu'il t'apporte la paix!

Le souhait est tout d’abord que Dieu nous bénisse.Cela ne veut pas dire faire simplement un signe de croix ( !) de la main, comme lorsque quelqu’un nous demande de le bénir !Cela veut dire qu’on demande que Dieu prononce sur nous la parole qui nous rende heureux (makarioi) – une parole nécessairement efficace -- et qu’il nous garde, nous conserve dans ce bonheur.La même réalité est exprimée par les deux phrases suivantes utilisant des images différentes.La première est « que le Seigneur fasse briller sur toi son visage », ce qui pourrait se traduire de façon plus juste par : « qu’il te montre un visage souriant ».Et la deuxième est : « Que le Seigneur tourne vers toi son visage – ce qui signifie, qu’il te regarde avec amour et bienveillance – et qu’il t’apporte la paix ».Cette paix dont nous avons tous besoin et dont notre monde a tant besoin.

C’est donc la bénédiction que je veux prononcer sur vous :

Que le Seigneur vous bénisse et vous garde!

Que le Seigneur fasse briller sur vous son visage, qu'il se penche vers vous!

Que le Seigneur tourne vers vous son visage, qu'il vous apporte la paix!

Armand Veilleux

1 novembre 2009 – Toussaint

Chapitre à la Communauté de Scourmont

Comme dans un miroir

Les lectures de la Messe de la Toussaint sont particulièrement riches.Je commenterai dans l’homélie l’Évangile des Béatitudes et toucherai un peu aussi la première lecture, tirée de l’Apocalypse.

La deuxième lecture, tirée de la Première Lettre de Jean, nous rappelle que nous sommes tous enfants de Dieu, que nous le sommes déjà mais que cela n’est qu’une faible lueur comparée à ce que nous serons lorsque le Fils de Dieu paraîtra.Nous lui serons alors semblables, parce que nous le connaîtrons tel qu’il est. Il convient, évidemment de mettre ce texte en parallèle avec celui de Paul aux Corinthiens ( 1 Cor 13, 12) qui dit qu’ici bas nous ne voyons que comme dans un miroir mais qu’alors nous le verrons face à face.

Cette expression « comme dans un miroir » a été retenue comme thème d’une Journée diocésaine de la Vie Consacrée préparée par le Vicariat diocésain de la Vie Consacrée du diocèse de Tournai, et qui aura lieu le 6 février prochain. En préparation pour cette Journée, j’ai préparé un petit article qui paraîtra dans le numéro de novembre de L’Église de Tournai, et dont je vous donnerai ici l’essentiel du contenu.

Dans sa Première Lettre aux Corinthiens, saint Paul introduit son hymne à la charité en insistant sur la complémentarité des charismes des divers membres de l’Église. Tous les Chrétiens sont appelés aux plus hauts sommets de la perfection. Tous sont appelés à vivre l’amour qui est tout ce qui nous restera lorsque le reste aura passé. Chacun a une vocation qui lui est propre et est une expression particulière du mystère total de l’Église.

Au ciel nous verrons Dieu face à face, c’est à dire que nous le connaîtrons comme il nous connaît, dans une union d’amour qui ne sera pas une fusion, car elle respectera notre individualité. Ici-bas, tout ce qui nous est manifesté de Dieu nous l’est dans des réalités qui servent en quelque sorte de miroir. Cette figure du miroir peut nous aider à exprimer le sens de la Vie Consacrée.

Tous consacrés

Il n’est pas facile de trouver une expression adéquate pour désigner la forme de vie chrétienne qu’on appelle généralement aujourd’hui la vie consacrée et qu’on appelait à l’époque de Vatican II la vie religieuse. Aucune expression n’est totalement satisfaisante. Tout chrétien qui vit authentiquement sa vie chrétienne, et même tout être humain qui sert Dieu selon sa conscience, mène une vie qu’on peut dire religieuse. Il pratique la religion qui est une attitude de respect à l’égard de Dieu. De même tout Chrétien a été consacré à Dieu par le baptême. Les Chrétiens qui consacrent leur union matrimoniale à travers le signe visible du mariage sacramentel sont aussi consacrés à Dieu. Ceux qui décident de demeurer célibataires pour le royaume, tout en restant dans le monde, sans se joindre à une communauté et sans demander aucune reconnaissance officielle, n’en sont pas moins consacrés à Dieu par cet état de vie. Le prêtre est aussi consacré à Dieu, comme le dit d’ailleurs son titre de ministre sacré. L’Église a toutefois, depuis les premières générations chrétiennes, donné le nom de religieux ou de consacrés à des fidèles qui se sont publiquement engagés dans un état de vie permanent caractérisé en tout premier lieu par le célibat, et aussi par la simplicité évangélique – ou pauvreté – ainsi que l’obéissance et vécue la plupart du temps en communauté.

Ils ne sont ni plus religieux ni plus consacrés que tous les autres Chrétiens, mais ils le sont d’une façon particulière. Une théologie de cet état de vie, que Vatican II fonde sur la notion de sequela Christi, ou suite du Christ, pourrait aussi se fonder sur la notion de miroir, telle qu’on la trouve exprimée dans le texte de saint Paul mentionné plus haut. Il serait prétentieux de leur part de se considérer comme des modèles de vie chrétienne et naïf de la part des autres de le faire. Mais comme ils s’efforcent de mettre au coeur de leur vie des dimensions essentielles de toute vie chrétienne, on peut dire que leur vie est un miroir, dans lequel on peut lire, dans une certaine mesure et de façon évidemment toujours imparfaite, des aspects de toute vie chrétienne.

Aspects essentiels de la vie consacrée

Tout être humain est appelé à une communion d’amour avec Dieu. La personne appelée à la forme de vie chrétienne dite consacrée, veut non seulement mettre cette réalité au coeur de sa vie, mais organiser toute sa vie humaine autour de cette valeur. Pour cela elle choisit le célibat qui est, pour elle d’abord et pour les autres ensuite, le signe de ce désir d’union aussi totale que possible avec Dieu dans l’amour. En conséquence, afin que son coeur ne soit pas divisé entre l’amour du Christ et autre chose, cette personne renonce à se perpétuer dans des possessions matérielles – ayant déjà renoncé à se perpétuer dans une progéniture -- vivant ainsi une forme de pauvreté. De même, s’efforçant d’imiter le Christ qui, étant devenu l’un de nous, s’est fait obéissant jusqu’à la mort, elle adopte la sujétion à une règle commune et à des supérieurs comme une voie de recherche de la volonté de Dieu sur elle.

Ce don à Dieu de tout son être à travers ces engagements que nous venons de mentionner et qu’on appelle généralement voeux sont le coeur même de la vie de la personne consacrée. Malgré ses limites personnelles et ses faiblesses, cette personne est, à travers ce qu’elle s’efforce de vivre, un miroir dans lequel tout Chrétien – et même toute personne de bonne volonté, qu’elle soit croyante ou non -- peut discerner ce à quoi elle est elle-même appelée à vivre d’un autre façon.

Ministères ecclésiaux des consacrés

Cet engagement fondamental est le tronc sur lequel se greffent tous les autres aspects plus visibles de la vie d’une personne consacrée. La grande majorité de ces personnes consacreront leur vie au service des plus petits et des plus pauvres du royaume, soit à travers le soin des malades ou à travers l’enseignement, allant parfois jusqu’à des attitudes héroïques comme celle du Père Damien de Molokai – maintenant reconnu officiellement comme saint Damien. D’autres auront une mission d’enseignement ou encore de recherche scientifique aussi bien dans des domaines religieux ou théologiques que profanes. En cela aussi ils sont des miroirs. Sauf exception, les personnes consacrées vivent en communauté, chaque communauté ayant un charisme propre généralement lié à l’une de ces activités. Mais il reste que le charisme premier de tout consacré et ce qui justifie qu’on lui attribue ce nom, c’est son effort constant de placer l’amour du Christ au coeur de sa vie et d’organiser toute sa vie autour de ce noyau. Pour ceux qu’on appelle contemplatifs et qui n’ont aucune de ces activités pastorales ou caritatives comme mission propre, c’est à travers ce charisme premier qu’ils réfléchissent comme dans un miroir l’appel à l’amour de Dieu.

Il n’y a qu’une foi, qu’une espérance, qu’un amour, un seul Seigneur, Jésus le Christ. Tous les fidèles – tous ceux qui ont mis leur foi dans le Christ – construisent ensemble, chacun selon son charisme, ce sacrement de l’amour divin qu’est l’Église. Chacun doit s’efforcer de voir dans le charisme de l’autre une réflexion différente du même et unique mystère de la vocation à être sauvés par la transformation à l’image du Christ (2 Cor 3,18). Il serait bon de voir comment les familles chrétiennes sont des miroirs de l’amour divin, comment la vie de l’évêque et du prêtre est un miroir de ce même amour dans sonaspect de service ecclésial. L’Église de Tournai a décidé de consacrer une journée, le 6 février 2010, à voir comment les religieux et religieuses exercent ce même rôle de miroirs.

Mais dans tous les cas, l’essentiel est de percevoir non pas le miroir mais ce qui s’y reflète de façon encore obscure en attendant de nous retrouver tous ensemble unis dans la vision directe du Dieu unique.

Armand VEILLEUX

Chapitre du 29 novembre 2009

Premier Dimanche de l’Avent

La Révélation du Fils de l’Homme

Vous aurez sans doute remarqué que l’Évangile d’aujourd’hui est composé de deux passages du chapitre 21 de saint Luc, que nous avons lus au cours des derniers jours, dans le lectionnaire férial : le premier, jeudi et le second, samedi. Il s’agit d’une section du grand discours apocalyptique de Jésus en saint Luc.

Nous baignons ici en pleine spiritualité apocalyptique, et il y a, en ce passage d’une année liturgique à l’autre, une admirable continuité.

Tout au long de la semaine qui vient de s’écouler, et qui était la dernière du cycle liturgique, c’est le Livre de Daniel qui nous accompagnait comme première lecture à la Messe.C’est un écrit qui, tout en ayant des éléments historiques, appartient au genre apocalyptique.Il fut écrit dans un temps de persécution, au moment de la résistance des Maccabées. S’y révèle un messianisme qui nourrit l’attente d’un sauveur désigné comme le « Fils de l’Homme ».Ce qui nous préparait déjà à l’Avent. (Cette expression « Fils de l’Homme » est ambivalente et riche de sens : Elle désigne souvent le Messie, mais dans son sens premier elle désigne l’être humain comme tel, et, dans un deuxième temps, l’humanité dans son ensemble).

De même, tout au long de la semaine, la lecture quotidienne, tirés des derniers chapitres de l’Évangile de Luc, nous parlait de la fin des temps. Et l'une des caractéristiques de cette fin des temps selon l'Évangile, est le renversement des situations:Ceux qui auront été sous-privilégiés et opprimés en cette vie seront dans la joie, et les privilégiés de ce monde qui auront vécu sans compassion pour les moins fortunés seront dans les douleurs.

La première lecture de la messe de mercredi dernier nous montrait le jeune Daniel prisonnier à la cour du roi de Babylone, non seulement plein de Sagesse reçue d’en haut, mais aussi totalement dépourvu de peur.Il ose parler avec force et courage à Nabuchodonosor, le plus puissant des rois de la terre, lui reprocher ses crimes et lui annoncer le démantèlement de son royaume, tout comme Jean-Baptiste, plusieurs siècles plus tard osera parler avec courage et clarté au roi Hérode.Ce sont des hommes sans peur parce qu’ils n’ont rien à perdre. (Nous avons peur des autres et des circonstances lorsque nous avons des illusions de pouvoir, des ambitions, des rêves ou des trésors à protéger.Si nous sommes pauvres, de la pauvreté des béatitudes, sans rien à défendre et à protéger et donc sans rien à perdre, alors nous pouvons être libéré de toute peur). Dans l’Évangile, Jésus ne cesse de répéter à ses disciples « N’ayez pas peur ».

Luc, dont l’Évangile est le dernier des trois Évangiles synoptiques à avoir été écrit, situe le discours eschatologique de Jésus autour du Temple de Jérusalem. Et ce Temple a déjà été détruit par l’armée romaine au moment où Luc écrit. Dans le passage qui précède immédiatement ce discours, les disciples admiraient la beauté du Temple de Jérusalem, et Jésus leur annonçait la destruction de ce Temple disant qu’il n’en restera pas pierre sur pierre.Puis il continuait, dans le texte d’aujourd’hui, en annonçant les difficultés, les persécutions et les souffrances qu’auront à subir ses disciples

Jésus les prévient que lorsqu’ils seront traînés devant des tribunaux et des juges, ils ne devront pas se préoccuper de préparer leur défense, car c’est d’en haut qu’ils recevront, comme Daniel, les paroles de sagesse dont ils auront besoin.Ces paroles de sagesse ne les empêcheront pas, en plusieurs cas, d’être mis à mort ; mais même alors ils seront entre les mains de Dieu.

Tous ces récits nous parlent de la fin des temps.La « fin des temps » pour Jésus, surtout si l’on prend l’ensemble de ses prophéties à ce sujet dans les trois évangiles synoptiques, ne signifie pas un moment où l’univers créé sera détruit et cessera d’exister.Cette expression signifie plutôt le but, la finalité ultime vers laquelle tend toute la marche de l’histoire.Elle signifie l’achèvement ultime de l’univers tel que prévu par le créateur et non sa destruction.Il y aura des guerres, mais ce ne sera pas cela la fin.Il y aura des tremblements de terres et des cataclysmes naturels, mais ce ne sera pas la fin.Il y aura des persécutions, mais cela ne sera pas non plus la fin.Finalement l’Évangile sera annoncé à toutes les nations et le Fils e l’Homme apparaîtra dans toute sa puissance et sa gloire.Alors la fin, le but ultime de la création sera réalisé.Les hommes pourront relever la tête car leur libération sera arrivée.

Tous les grands récits apocalyptiques tendent non pas vers une destruction, mais une pleine réalisation du mouvement de retour de l’univers créé vers Dieu des mains duquel il est sorti.

Réjouissons-nous, faisons taire toutes nos peurs et vivons non dans l’attente de la destruction du monde mais dans l’attente d’un plein achèvement et de chacun de nous et de toute la création.Dieu ne détruira jamais ce qu’il a créé par l’amour, mais le transformera en faisant croître en plénitude la semence de vie divine qu’il y a placée.

J’ai utilisé plusieurs fois depuis le début de mon entretien, le substantif « apocalypse » ou l’adjectif « apocalyptique ».Pour comprendre toute la liturgie de l’Avent, et en particulier celle de ce premier dimanche, je crois utile de dire quelque mots de ce qu’on entend par ces expressions.Il ne faut surtout pas leur donner un sens tragique de destruction totale. Il s’agit plutôt d’un genre littéraire et, avant même d’être un genre littéraire, de tout un grand courant de spiritualité.Ce grand courant s’est développé entre le deuxième siècle avant Jésus-Christ et la fin du 1er siècle chrétien.

Le verbe grec « apokalyptein » signifie d’abord découvrir, puis révéler. Le substantif correspondant – apokalypsis – qu’on traduit généralement par « révélation » est le premier mot du dernier livre du Nouveau Testament, qu’on attribue à l’apôtre Jean.

Ce grand courant qui caractérise le judaïsme tardif et le christianisme naissant est beaucoup plus qu’un courant littéraire.C’est un puissant courant spirituel, qui prend la relève du mouvement prophétique, longtemps après que celui-ci semble s’être arrêté ou s’être éteint. L’un des grands représentants de ce mouvement dans le judaïsme tardif est précisément Daniel, mentionné au début.

Selon une croyance et un enseignement familiers aux Juifs des derniers siècles avant Jésus-Christ, les cieux« s’étaient fermés » et l’Esprit-Saint n’était plus descendu sur quiconque.Il n’y avait plus de prophète, depuis la disparition des derniers prophètes, que furent Aggée, Zacharie et Malachie.La prophétie avait cessé et, dès lors, le groupe juif était atteint dans les principes mêmes de ses prétentions à vivre.Sans Esprit Saint, il n’y avait plus d’histoire possible lui.Il n’y avait plus d’Israël.

Alors se fait plus vive l’attente du Messie.On disait couramment que les cieux s’ouvriraient lors de la venue du Messie, afin que le Prophète des « temps nouveaux » puisse recevoir l’Esprit.On se reportait à la promesse de Moïse au peuple ( 18,18) « Yahvé ton Dieu suscitera pour toi... un prophète comme moi ». On l’identifiait souvent à Elie...

Avec l’arrivée de Jésus, les cieux s’ouvrent.Par exemple, lorsqu’il descend dans le Jourdain pour se faire baptiser, les cieux s’ouvrent et l’Esprit se manifeste.

Je vous invite aussi à réfléchir tout particulièrement sur la dernière phrase de l’Évangile d’aujourd’hui, sur laquelle on pourrait bâtir toute une théologie de la vie monastique : « Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver et de paraître debout devant le Fils de l’homme ».

On a là trois éléments essentiels de la voie monastique :

a) Rester éveillés, ou être vigilants .

b) Prier sans cesse :

c) Se tenir debout devant le fils de l’homme.

Mail il y a là l’objet d’un autre entretien.

Armand Veilleux

25 octobre 2009 – Chapitre
Abbaye de Scourmont

Nous sommes le temple de Dieu

Nous avons fêté hier la fête de la Dédicace de notre église.Dans un contexte monastique, la fête de la Dédicace d’une église est celle de la communauté qui célèbre dans cette église.Comme vous le savez, c’est l’idée fondamentale qui circule dans les sermons de saint Bernard pour la Dédicace. Au cours des derniers mois j’ai été rendu encore plus sensible à cela en participant à la consécration de deux églises monastiques, celle Kibungo, au Rwanda, l’été dernier, et plus récemment celle de Koningsoord (autrefois Berkel). Je voudrais donc continuer à réfléchir sur ce thème ce matin.

Dès le début du premier sermon pour la Dédicace, Bernard dit à ses frères : « Cette fête est vôtre, tout à fait vôtre. Vous êtes consacrés à Dieu qui vous a choisis et vous a fait siens... Lorsque l’évêque a consacré cette maison, il l’a fait à cause de nous : non seulement ceux qui étaient alors présents, mais tous ceux qui serviront le Seigneur en ce lieu durant les siècles à venir »

Dans le cinquième sermon, après une longue introduction sur la maison de Dieu, il pose cette question : « Quelle est la maison de Dieu ? Quel est son temple ? Quelle est sa cité ? Quelle est son épouse ?Et il répond : « Je le dis avec crainte et respect : c’est nous.Oui, nous sommes tout cela dans le cœur de Dieu.Nous le sommes par grâce et non à cause de nos mérites. » (V, 8).

Il pourrait être intéressant de mettre cet enseignement de Bernard en relation avec ce que saint Benoît dit de l’oratoire du monastère, dans le chapitre 52 de la Règle.

Tout d’abord il ne faut pas se laisser tromper par le mot « oratoire » qui, dans le langage moderne, signifie plutôt un lieu plus petit et plus privé qu’une véritable église, comme, par exemple, la petite chapelle d’une communauté religieuse ou celle d’un château.Chez Benoît, le mot a encore son sens premier et étymologique.C’est tout simplement le lieu où l’on prie.

On sait à quel point le "lieu" a de l'importance pour Benoît.Le moine vit dans une communauté et cette communauté est enracinée dans un lieu concret.Le nouveau venu, à chaque étape de sa formation promet sa stabilité dans ce lieu.Et, à l'intérieur du monastère, il y a des lieux prévus pour les diverses activités de la journée monastique : des lieux pour travailler, pour étudier, pour manger, et aussi un lieu où la communauté se réunit pour prier en commun.

Il serait erroné de penser que, pour Benoît, l'oratoire est le seul lieu de prière du moine.L'ensemble de la Règle montre bien que, pour Benoît comme pour toute la grande tradition monastique – antérieure et postérieure à lui – l'obligation fondamentale du moine en ce qui concerne la prière, est celle de la prière continuelle.De plus, au chapitre 19 de sa Règle, consacré à la façon de psalmodier, il avait affirmé que "Nous avons la certitude que Dieu est partout présent."Benoît connaissait aussi, évidemment, la parole de Jésus: «Quand tu veux prier, entre dans ta cellule, ferme la porte, et prie ton Père dans le secret".La solitude du cœur et de la cellule doit être le lieu privilégié de la prière personnelle du moine.Selon saint Grégoire le Grand (Dialogues 2,35) Benoît avait coutume de prier dans sa cellule, en regardant le ciel par la fenêtre, avant que les moines ne se lèvent pour les Vigiles.

Pour Benoît, l'oratoire est essentiellement le lieu de la prière commune.Ce qui fait que dès qu'on y entre on est psychologiquement dans l'attente de la communauté.Par ailleurs Benoît prévoit que tel ou tel frère puisse vouloir désirer demeurer à l'oratoire pour y poursuivre là sa prière personnelle.Benoît lui demande de prier alors en silence, dans le secret de son cœur, dans les larmes de componction et avec l'intensité du désir de son cœur (intentione cordis), et non pas à haute voix, de façon à ne pas déranger un autre frère qui voudrait faire la même chose.

Revenons à saint Bernard. Faisant allusion à David qui voulait construire un temple à Dieu, Bernard dit que Dieu nous a donné une maison magnifique, qui est notre corps, pour lequel il a créé un univers admirable. Nous devons donc nous soucier nous aussi de construire une maison à Dieu.

« Ne te semble-t-il pas indigne, dit Bernard, ne de pas te préoccuper de construire un temple à Dieu, alors qu’il t’a fait cette demeure ? » Alors, demande Bernard à ses auditeurs : « Quels sont nos plans ? En quel lieu construirons-nous cette demeure ? Qui en sera l’architecte ? »Il répète que le temple matériel, dont on célèbre la dédicace, a été fait pour nous, afin que nous y vivions et non pour le Très Haut, car celui-ci n’habite pas des temples faits de mains d’homme.Et comment élever un Temple à celui qui peut dire en toute vérité « Je remplis le ciel et la terre ».Je serais dans le trouble et l’angoisse, dit Bernard, si je ne l’avais entendu dire lui-même : « Mon Père et moi viendrons et nous ferons chez lui notre demeure ».

Si Dieu remplit le ciel et la terre, seule son image peut le contenir. Or, notre âme peut le contenir – elle est capax Dei -- puisqu’elle a été créée à son image. Nous retrouvons ici le thème très important de l’image de Dieu qui domine toute la christologie et l’anthropologie et donc aussi la spiritualité des Pères latins aussi bien que des Pères grecs. Selon cette doctrine, nous avons été créés à l’image de Dieu et à sa ressemblance.En tant que créatures privilégiées, nous étions destinés à participer à la vie divine.Ces dispositions ont été contrecarrées par le péché.Mais quels que soient nos péchés, l’image de Dieu demeure en nous, même si elle a été recouverte de poussière ou de boue.Notre âme demeure capax Dei, capable de le contenir dans la contemplation et la communion.Tout cela, évidemment, parce que le propre Fils de Dieu, qui était in forma Dei, n’a pas hésité à renoncer à son privilège. Il est descendu (Phil. 2,6-7), il s’est fait l’un de nous.Il a accepté de perdre sa forma, sa beauté.Il a été défiguré au point ne pas être reconnu (Is. 53,2).Il est s’est anéanti, se faisant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix.C’est pourquoi, etc.Ainsi nous a été montré et tracé le chemin du retour à l’image.Déformés par le péchés, devons être ré-formés, transformés à l’image du Christ ressuscité.

Vous reconnaîtrez facilement là l’intuition fondamentale de notre document sur la formation (notre Ratio) : toute la formation monastique consiste à être configurés (re-configurés) à l’image du Christ. Et cela ne se fait pas dans quelques années de « formation initiale ».C’est le travail de toute une vie, jamais achevé avant le passage sur l’autre Rive.

Armand Veilleux

8 novembre 2009 – Chapitre

Abbaye de Scourmont

La paix du coeur

Dès le début de ses Confessions, saint Augustin a cette phrase d’une concision et d’une profondeur extraordinaire :

Fecisti nos ad te et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te(Augustin, Confessions, livre 1, chap. 1, ligne 6)

« Tu nous as faits pour toi (fecisti nos ad te) et notre coeur est sans repos (inquietum est) jusqu’à ce qu’il se repose en toi (donec requiescat in te).

Ce texte contient déjà tout ce qu’on peut dire sur la paix du coeur.

L’expression latine « fecisti nos ad te » possède une force qu’il est bien difficile de rendre en français. L’accusatif de « ad te » implique un but, un mouvement vers. Et puis il y a aussi l’opposition entre le fait que notre coeur est « sans repos » (inquietum), sans quies, sans quietude, aussi longtemps qu’il ne se repose (requiescat) qu’il trouve sa quies en Dieu. Inquietum, pourrait évidemment se traduire aussi par inquiet.Et il y a deux formes d’inquiétude. L’une est négative et l’autre positive.L’inquiétude négative consiste à être tiraillé entre toutes sortes de préoccupations contradictoires qui nous enlèvent la paix de l’esprit et du coeur.L’inquiétude positive est celle qui vient du refus de se reposer en quoi que ce soit d’autre que le but désiré, et qui s’identifie au désir.

Un coeur en paix c’est un coeur unifié – un coeur qui n’est pas divisé entre des amours et des désirs contradictoires. C’est surtout un coeur centré sur un but vers lequel il tend en ligne droite.

C’est là le sens de la vie monastique.C’est là aussi le sens premier du mot moine.Vous connaissez sans doute quelques-unes des excellentes études faites il y a une trentaine d’années sur l’origine et le sens primitif du mot grec monachos, d’où nous vient, à travers le latin monacus, le mot français moine.

On relie souvent le mot grec monachos à un autre grec monos, et on en conclut que le moine est celui qui vit seul.Ce qui n’est pas le sens premier.Dans le langage chrétien primitif, avant que n’apparaisse le phénomène monastique, le motgrec monachos, qui n’existe pas dans le grec classique, est utilisé pour désigner quelqu’un qui a assumé le célibat. C’est l’équivalent du mot syriaque ihidaya, qui est beaucoup plus souvent attesté dans la littérature ascétique primitive. Le mot signifie d’abord celui qui a choisi le célibat.

Or la racine sémitique du mot (iahad en hébreu) signifie non seulement « être seul », mais « être un », ne pas être « divisé ».Et c’est là le sens fondamental du mot monachos, comme c’est le sens du célibat assumé pour le Royaume des cieux. Le moine c’est celui qui est un, unifié, intègre.

Dans le psaume 86, 11 nous chantons: « unifie mon coeur pour qu’il cherche ton nom ». Le verbe utilisé dans la bible hébraïque est le verbe iahêd(même racine que ihidaya, qu’une très ancienne traduction grecque de l’AT, celle d’Aquila, rend par le verbe grec monachoun : rends mon coeur moine !

« Unifie mon coeur » veut dire : « Fais que je n’aie pas un coeur partagé ». Cette unité du coeur est l’équivalent de la « pureté du coeur ».Et quel est l’opposé de cette unité ou de cette pureté, c’est la « duplicité » du coeur, la dipsychia, selon une expression biblique assez fréquente « un coeur et un coeur » (leb).

Un coeur en paix c’est un coeur unifié, qui n’est pas partagé entre divers buts et divers amours., qui va droit au but. C’est pourquoi le même mot syriaque ihidaya sera traduit indifféremment, dans la littérature monastique de langue grecque, par monachos ou par monotropos, c’est-à-dire celui qui n’a qu’un but, qu’une préoccupation dans sa vie. Qu’un amour.

La vertu correspondant à cette attitude ou à cet état, c’est la simplicité (en grec haplotès). Cette notion de simplicité est assez proche de celle de stabilité dans la Règle de saint Benoît.Dans le chapitre 58, sur la réception des frères, Benoît veut qu’on se préoccupe tout d’abord de voir ce que cherche vraiment le candidat.(La préoccupation de savoir s’il « a la vocation » est une préoccupation tout à fait moderne). Il faut assurer de deux choses : la première est « qu’est-ce qu’il veut ? ».Cherche-t-il vraiment Dieu ? Autrement dit : « a-t-il un but unique et précis ? ». S’il cherche vraiment Dieu il sera assidu à l’Opus Dei, et à l’obéissance et acceptera le cas échéant les humiliations.Mais la question qui résume tout : Est-il orienté vers Dieu.Est-ce l’objet de son désir. La deuxième question est : Est-il vraiment sérieux dans cette recherche ? Est-il prêt à en payer le prix. Et, à chaque étape du discernement qu’on fait avec lui, on continuera ce discernement s’il promet sa « stabilité », qui est beaucoup plus que le fait de demeurer dans un même lieu.C’est avant tout la stabilité dans le cheminement, dans la poursuite du but.On devra vérifier, dit Benoît, s’il « persévère dans cette [sa] stabilité ».

Un coeur en paix est un coeur où il n’y a pas de guerre, pas de lutte.Et cela n’est pas donné.Il faut y arriver après une longue route de conversion.C’est pourquoi un coeur en paix est nécessairement un « coeur pacifié » - un coeur qui s’est laissé pacifier par l’Esprit qui a sans doute utilisé beaucoup d’instruments divers.

La paix du coeur est le fruit d’un long et constant cheminement qui nous fait passer du besoin au désir.

L’être humain connaît en effet un grand nombre de besoins, qu’il a en général en commun avec les autres êtres, surtout ceux de l’ordre animal ; mais ce qui lui est propre comme être humain c’est le désir.

Mais quand bien même l’être humain arriverait à satisfaire tous ses besoins et à s’ouvrir à tous ses désirs terrestres, il reste en lui l’aspiration à un surplus d’être qu’il ne peut que recevoir de Dieu.Cette aspiration est pure ouverture, pure réceptivité.Elle n’est possible que dans un coeur pur et pacifié.À son tour, elle maintient, nourrit et développe la paix du coeur.

Armand VEILLEUX

Chapitre du 18 octobre 2009

Abbaye de Scourmont

Le sacerdoce du Christ et la fermeté de note foi

Depuis quelques semaines, et jusqu’à la fin de l’année liturgique – sauf pour le dimanche du Christ-Roi – la seconde lecture à la Messe du dimanche est tirée de la Lettre aux Hébreux.

Cette Lettre aux Hébreux n’est pas un écrit facile.Les discussions n’ont pas manqué, depuis les premiers siècles jusqu’à nos jours au sujet de son auteur, de la date de sa rédaction, de ses destinataires, etc. Il n’y a pas lieu d’entrer maintenant dans toutes ces questions. Retenons simplement que l’écrit se divise en trois grandes parties : 1) La parole de Dieu incarnée dans le Christ (1-4), 2) Le Sacerdoce du Christ (4,14-10,18), et 3) La vie chrétienne (10,19-fin). La lecture d’aujourd’hui est tirée de la deuxième partie

Frères,
en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a pénétré au-delà des cieux ; tenons donc ferme l'affirmation de notre foi.
En effet, le grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous, et il n'a pas péché.
Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours (4, 14-16).

On trouve dans ce texte deux affirmations concernant le Christ ; et, après chacune, l’expression de la conséquence pour nous de cette affirmation.La première concerne le sacerdoce du Christ. Cela n’est pas sans importance car la Lettre aux Hébreux est le seul écrit du Nouveau Testament qui donne au Christ le titre de prêtre, et même de grand prêtre.Il peut être intéressant d’y réfléchir en cette année que Benoît XVI a désignée comme « Année du sacerdoce ».

Dans l’Ancien Testament il y avait trois personnages importants : le roi, sur qui reposait tout l’aspect civil et militaire du peuple ; le prêtre, de qui dépendait tout l’aspect cultuel ; et le prophète, qui était l’intermédiaire entre le peuple et Dieu, et qui avait comme mission de rappeler sans cesse au peuple – y compris le roi et le prêtre – les volontés et les reproches de Dieu.Tout au long de l’Évangile, Jésus se présente non pas dans la lignée du roi, même s’il est fils de David, ni dans la lignée du prêtre – il n’est d’ailleurs pas de famille sacerdotale -- mais dans celle des prophètes.

Il n’en est donc que plus important de bien peser ce que nous dit la Lettre aux Hébreux concernant son sacerdoce.La première affirmation – qui ouvre le texte lu aujourd’hui – souligne d’emblée la nature de ce sacerdoce lorsqu’elle dit que nous avons un grand prêtre par excellence « qui a pénétré au-delà des cieux ». C’est donc dans le Christ ressuscité, glorifié auprès du Père, après sa passion et sa mort, qu’on reconnaît l’accomplissement parfait de son sacerdoce et non dans sa passion elle-même.

D’ailleurs, dans la phrase suivante, la Lettre nous présente les souffrances du Christ non pas comme un rituel nouveau remplaçant les rituels de l’Ancienne Alliance, mais comme une épreuve par laquelle le Christ a passé, partageant toute notre condition humaine.Il n’a pas été sacrifié ; il a été assassiné.

De la première affirmation, c’est-à-dire celle que nous avons un grand prêtre par excellence, l’auteur en déduit que « nous devons tenir ferme dans l’affirmation de notre foi » ; et de la seconde – qu’il a partagé nos faiblesses – il en déduit que nous devons nous avancer plein d’assurance vers le Dieu tout-puissant.

Dans l’Église, on distingue plus clairement de nos jours le sacerdoce ministériel des prêtres et des évêques du sacerdoce général de tous les fidèles, l’un et l’autre étant, chacun à sa façon, une participation au sacerdoce du Christ. Une forme d’exercice du sacerdoce ministériel, et un type de prêtre se sont développés au cours des siècles et la pénurie de vocations au sacerdoce ministériel dans plusieurs partie de l’Église obligent de nos jours à repenser le type d’Église et le type de ministère que Dieu veut pour son Église aujourd’hui. Ces passages de la Lettre aux Hébreux devraient être le point de départ d’une telle réflexion.

Pour nous moines, comme pour tout Chrétien, nous devons surtout retenir que, dans ce texte, l’affirmation du sacerdoce du Christ qui a pénétré au delà des cieux conduit à la recommandation d’être fermes dans l’affirmation de notre foi.

Remarquons l’expression « l’affirmation de notre foi ». Cela ne signifie certainement pas réciter des formules en disant « je crois en ceci... ou en cela ». Il s’agit d’affirmer notre foi à travers notre façon de vivre.On retrouve cela à la fin du Prologue de la Règle, où Benoît dit que « à mesure que l’on progresse dans la vie sainte (ou conversatio) et dans la foi – on doit donc progresser sans cesse dans la foi – on pour courir le coeur dilaté dans la voie des commandements de Dieu.

Sans la foi notre vie monastique n’aurait aucun sens.Le mot latin fides se trouve rarement dans la Règle ;mais le verbe credere revient souvent.Ainsi, au chapitre 2, il est dit de l’abbé que Christi... agere vices... creditur ; autrement dit ce n’est que dans une vision de foi que l’on peut le considérer comme le représentant du Christ dans la communauté.Ou encore, au chapitre 19, sur la psalmodie, il est dit que « Nous croyons que Dieu est partout... d’une façon spéciale durant la psalmodie ». Là encore, il s’agit d’une vision de foi. Si l’on a cette vision de foi, on peut vivre sans cesse en présence de Dieu et faire de sa vie une prière continuelle, ce qui est le but de la vie monastique.

Armand VEILLEUX